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Il est temps d’avouer que le projet de la civilisation, y compris son mythe du progrès, devient insaisissable. Les finalités, celles des débuts, nous échappent désormais. Comme l’écrit Sloterdijk,2 rien ne se passe comme prévu. Quelque chose que nous peinons à comprendre, mais qui semble pourtant lié à notre manière de penser et d’agir, fait qu’un « devoir-se-passer-autrement… perce avec une ironie irrésistible notre projet ». C’est comme si on avait « mis en mouvement quelque chose qu’on n’aurait pas pensé, ni voulu, ni pris en considération… qui se meut tout seul avec un entêtement dangereux ». Ce qui nous arrive a la forme d’un mouvement « fatal », « qui nous échappe dans toutes les directions ». Nous avions voulu une civilisation qui repose sur le progrès et le « mouvement continu ». Mais voilà : cette utopie s’est transmuée en une sorte de caricature. Sloterdijk, grand penseur du moment étrange que nous vivons, compare la « dérive de l’actuel processus de civilisation » à une « avalanche pensante ». Un phénomène monstrueux non pas extérieur à nous, mais que nous constituons nous-mêmes, avec nos insatiables désirs, notre entêtement aveugle et notre irrationnel hors du temps. Cette « avalanche qui pense » descend « à grand bruit dans la vallée ». Et nous sommes paralysés, incapables de comprendre qu’il s’agit d’une « catastrophe autoréflexive ».