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Le Soir, mardi 7 janvier 2014
Par Paul De Grauwe Professeur à la London School of Economics
Retour sur le paradoxe fondamental dans l’approche répressive de la drogue.
De plus en plus de pays sont en train de décriminaliser le marché du cannabis. Ils le font parce qu’ils se rendent compte que la méthode répressive ne fonctionne pas et, en plus, engendre des coûts énormes, liés à la criminalité et à la santé publique.
Il y a un paradoxe fondamental dans l’approche répressive de la drogue. Cette approche essaye de limiter l’offre en la mettant hors la loi et en punissant sévèrement quiconque s’occupe de produire ou de distribuer le cannabis. Mais plus répressive est l’approche, plus ces activités deviennent profitables. Aujourd’hui, la production et la distribution du cannabis sont parmi les activités les plus profitables au monde. Ces activités bien sûr sont risquées, mais la rentabilité hors mesure a un effet d’attraction énorme sur les millions de gens qui n’ont rien à perdre et veulent bien prendre le risque. Cette attraction est aussi la plus forte sur ceux qui ne reculent pas devant la violence et le crime.
Répression
Le paradoxe peut donc se formuler de la façon suivante. Plus la répression s’intensifie, plus grand est le nombre de ceux qui n’ayant rien à perdre se lancent dans la production et la distribution de drogues. Lesquelles, du fait d’être illégales, promettent des profits démesurés.
Ce paradoxe a un nombre d’effets très importants. En premier lieu, en incitant un afflux sans cesse de producteurs et de distributeurs, l’approche répressive perd toute son efficacité. Parce que grâce à l’illégalité, l’offre est tellement profitable que ceux qui s’engagent dans cette activité accumulent des ressources financières considérables qui leur permettent de cacher les réseaux d’offre de façon de plus en plus ingénieuse ou de se soustraire à la répression grâce aux pots-de-vin ou autres méthodes de corruption. Le résultat est qu’après trente ans d’approche répressive, l’offre de cannabis n’a pas diminué, au contraire. Le cannabis est aujourd’hui plus disponible qu’il y a trente ans.
Le deuxième effet de l’approche répressive est qu’elle engendre le crime et la violence. Par nécessité, l’offre se réalise dans l’illégalité et attire les criminels qui entrent en concurrence intense. Ceci produit une violence sans limite, qui pousse les autorités à augmenter la répression, ce qui rend à son tour les criminels encore plus violents. Un cercle vicieux qui dans certains pays a atteint des proportions dramatiques jusqu’à la déstabilisation de la société tout entière.
Le troisième effet de l’approche répressive est qu’elle rend impossible le contrôle de la composition, de la pureté et de la teneur de THC du cannabis. De plus, le cannabis est produit aujourd’hui dans des conditions souvent insalubres (des caves cachées et humides, par exemple) et est contaminé par des bactéries ou autres contaminants (métaux lourds, particules de verre). Il n’y a aucun contrôle sur l’emploi d’herbicides, pesticides, engrais et autres nutriments. Tout cela crée des risques de santé publique énormes, et qui ne cessent d’accroître étant donné que la consommation de cannabis augmente d’année en année.
Le quatrième effet de la répression est que le consommateur de drogues est forcé de se mettre en contact avec des criminels qui contrôlent l’offre. Ceci risque de faire du consommateur un criminel, tandis que le consommateur de cannabis typique est loin d’être un criminel. Souvent, il y a à la source de la consommation du cannabis un problème personnel. L’approche répressive rend le traitement de ces problèmes plus difficile et n’aide pas à diminuer la consommation.
Une autre approche
Il faut donc une autre approche. Cette approche consiste à légaliser et à réglementer la production et la distribution du cannabis. Notez que la réglementation n’est possible que s’il y a légalisation. La réglementation est nécessaire mais ne peut se faire que dans un cadre de légalité.
Une telle approche permet aussi de transférer les ressources budgétaires considérables employées aujourd’hui dans le système répressif vers un système qui a pour but de diminuer la consommation. Cela se fait par des programmes d’information, de prévention et de traitement de ceux qui sont tombés dans le piège de la dépendance à la drogue. Cela permet aussi de traiter les consommateurs de drogues comme des personnes qui ont besoin d’aide au lieu de les traiter comme des criminels.
De plus, la légalisation permet de mettre en place un système de contrôle de la qualité du cannabis, tel qu’il existe pour la production de la bière, le vin et autres boissons alcoolisées. Ce faisant, les risques en matière de santé publique en seront réduits.
Enfin, en légalisant la production et la distribution du cannabis, on éliminerait d’un trait l’une des causes de criminalité les plus importantes, source de tant de malheur et de désespoir.
Ce plaidoyer pour la légalisation du cannabis n’est pas un plaidoyer en faveur de la drogue. Au contraire, je considère que l’emploi du cannabis est source de beaucoup de misère et qu’il faut le combattre. Mais il y a de meilleures méthodes, plus humaines aussi, que la méthode répressive pour aboutir à cette fin.